Page:Zola - Fécondité.djvu/451

Cette page n’a pas encore été corrigée

Et puis, le lendemain, il criait encore, il a fallu continuer quand même… Tout ça pour mon malheur. On n’a pas eu pitié, on m’a rendue beaucoup, beaucoup plus malheureuse, puisque voilà le jour bientôt venu où je vais être forcée de me débarrasser de lui, comme des deux autres. »

Des larmes parurent dans ses yeux. C’était l’histoire assez fréquente de la fille mère qu’on finit par décider à nourrir son enfant, pendant quelques jours, avec l’espoir qu’elle s’attachera, qu’elle ne pourra plus se séparer de lui. On agit surtout en vue de le sauver, il n’est d’autre bonne nourrice que la nourrice naturelle, la mère. Aussi avait-elle instinctivement senti ce piège sentimental, se débattant, criant avec raison qu’on ne commençait pas une telle besogne pour l’abandonner ensuite. Dès qu’elle avait cédé, elle était prise, son égoïsme devait être vaincu, sous le flot de pitié, de tendresse, d’espérance, qui allait noyer son cœur. Le pauvre être ne pesait pas lourd, chétif, blême, le jour de la première tétée. Dès ce moment, chaque matin, on l’avait pesé, et l’on avait pendu au mur, au pied du lit, le graphique, le tracé des poids. Elle ne s’y était d’abord que peu intéressée, y jetant parfois un coup d’œil indifférent. Mais, à mesure que la courbe s’était élevée, avait dit clairement combien l’enfant profitait, elle avait témoigné une attention grandissante. Brusquement, la courbe était redescendue, à la suite d’un malaise, et, dès ce jour, elle avait attendu l’heure de la pesée avec fièvre, elle se jetait tout de suite sur la feuille, afin de voir si le tracé remontait. Puis, la courbe ayant repris son ascension continue, elle avait ri de joie, elle s’était passionnée pour cette petite ligne si grêle qui montait toujours, qui lui disait que son enfant était sauvé, que tout ce poids, toute cette force acquise, c’était d’elle qu’il la tirait, de son lait, de son sang, de sa chair. Elle achevait de le mettre au monde,