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clinique où l’on courait voir faire des opérations, par mode, comme on va au théâtre. Le docteur, qui ne dédaignait pas l’argent, très âpre au contraire avec les clientes riches, aimait également la gloire, mettait un orgueil éclatant à réussir les très dangereux essais qu’il risquait sur les pauvres femmes de sa clinique. Les journaux s’occupaient constamment de lui, il montrait au plein jour de la publicité ses opérées sans importance, ce qui encourageait les belles dames à tenter l’aventure. Au demeurant, pessimiste et gai, il châtrait une femme comme on châtre une lapine ; et cela ne soulevait pas même chez lui un scrupule, une discussion morale : des malheureux de moins, n’était-ce pas tant mieux ?

Sérafine se mit à rire, de ses dents blanches de louve, entre ses lèvres saignantes, lorsqu’elle vit l’effarement et l’indignation de Mathieu.

— Hein ? mon ami, en voilà un qui ne ressemble guère à votre docteur Boutan, lequel, comme remède unique contre toutes les maladies, conseille à ses clientes de faire un enfant. Ce qui m’étonne, c’est que Constance garde pour médecin ce père Gigogne, elle qui se tâte le ventre chaque matin, avec la terreur de se trouver grosse… Elle a bien raison, du reste. Fi ! la saleté, l’horreur !

Complaisamment, Morange riait comme elle, désireux de lui montrer à quel point il partageait ses idées. Mais Valérie ne reparaissait pas avec Reine, il s’impatientait, s’inquiétait de l’attente où sa femme laissait ainsi madame la baronne. Et il demanda la permission d’aller voir, songeant qu’il pourrait aider lui-même à la toilette de la petite.

Dès qu’elle fut seule avec Mathieu, Sérafine fixa sur lui ses grands yeux ardents, pailletés d’or. Elle ne riait plus du même rire, sa face hardie s’éclairait d’une sorte de