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la rue de La Boétie et la rue de la Pépinière, il reconnut la pente raide, les maisons noires de la rue du Rocher, dévalant jusqu’au carrefour de la rue de Rome. Et ce fut pour lui encore un éblouissement d’éclair, la vérité totale, aveuglante, qui le frappait en coup de foudre, dans l’évocation atroce du souvenir, sa femme morte, étendue, là-bas, sur le grabat immonde, taché de sang.

« Ma fille est morte, ma fille est morte, on me l’a tuée ! »

Le coupé filait, parmi l’encombrement des voitures et des piétons. Vivement, il arriva rue Saint-Lazare, tourna sous l’une des arches étroites du passage Tivoli, se trouva dans la ruelle presque déserte, humide, immonde et noire. Morange se débattait, hagard, fou, les deux mains tenues par Mathieu, aveuglé de larmes, lui aussi, tandis que Sérafine, très attentive, très maîtresse d’elle-même, le suppliait de se taire, prête à lui fermer la bouche de ses doigts minces, s’il continuait à gémir, comme un misérable qu’on mène au supplice. Que voulait-il faire ? il l’ignorait lui-même : hurler, sauter de la voiture, pour courir plus vite, il ne savait où. Aussi, quand le coupé s’arrêta, les roues dans le ruisseau, devant la maison louche, cessa-t-il tout d’un coup de s’agiter, s’abandonnant aux deux autres qui le descendirent, qui l’emmenèrent, ainsi qu’une chose. Mais, dès l’allée sombre et puante, dont le froid, tel qu’un suaire, lui tomba sur les épaules, le souvenir se réveilla, farouche, avec une puissance de terrible évocation : c’était la même allée que là-bas, aux murs lézardés et moisis ; et ce fut ensuite la même cour verdâtre, fétide, pareille à un fond de citerne. Tout renaissait, l’atroce drame recommençait, plus abominable. Et quel quartier, cette cohue toujours pullulante de la gare Saint-Lazare, cette bousculade continuelle des départs et des arrivées, cette vaste place où semblait aboutir le monde entier avec ses fièvres, comme