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unique, il n’y a encore que cela pour mettre toutes les chances de son côté. Un seul être cher dans le cœur, et les bras libres, afin de lui gagner une fortune. »

Comme la bonne servait le café, il s’écria joyeusement :

« J’oubliais, je ne vous ai pas dit que Reine m’avait écrit déjà, oh ! une lettre si tendre, si heureuse, où elle me donne toutes sortes de détails amusants sur son arrivée là-bas, sur une grande promenade qu’elle a faite, dès le premier jour… Je l’ai reçue ce matin. »

Tandis qu’il fouillait dans sa poche, Mathieu sentit de nouveau passer en lui le frisson glacé, venu de l’inconnu, là-bas. Depuis l’avant-veille, il essayait de se rassurer, d’expliquer au mieux la rencontre du passage Tivoli. Ce déjeuner si gai, avec ce brave homme, finissait par noyer ses craintes en un vague de cauchemar. Mais, brusquement, ce mensonge, cette lettre évidemment écrite de Paris, le rendit à toute son angoisse pitoyable, devant le père si aimant, si heureux, tandis que, là-bas, la destinée de la fille s’accomplissait.

« La chère petite ! reprit Morange, en lisant des phrases de la lettre, on l’a comblée de caresses, on l’a mise dans une belle chambre rouge, avec un grand lit, où elle se perd. Il y a des draps brodés, s’il vous plaît ! et des flacons d’odeur sur la toilette, et des tapis partout. Oh ! ce sont des gens très riches, tout ce qu’il y a de mieux dans l’aristocratie, à ce que m’a raconté la baronne… Je continue. La baronne a tout de suite emmené la chère enfant dans le parc, où elles se sont promenées pendant deux heures, au milieu des fleurs les plus admirables. Il y a des allées, avec des arbres centenaires, hautes comme des nefs d’église. Il y a de grands bassins, avec des cygnes qui nagent. Il y a des serres où poussent des plantes rares, et qui embaument… Vous savez, moi je ne suis guère vaniteux, mais tout de même ça fait plaisir