son avenir barré, sa chute au ruisseau, au bagne peut-être. Fils unique d’un paysan pauvre, il avait dû vivre comme un chien errant, en quête de la pâtée, tandis qu’il faisait sa médecine à Paris, passant les nuits à de basses besognes, pour pouvoir prendre ses inscriptions. Puis, aujourd’hui, après ses années d’internat, malgré la protection de Gaude, qui goûtait sa sombre application, il était retombé au pavé. Sans clientèle avouable, il avait ouvert, pour manger, cette clinique louche du passage Tivoli, où il végétait des miettes des autres, des cas inquiétants qu’on voulait bien lui laisser. Le pis était qu’un besoin féroce de prompte réussite le dévorait, toujours à l’affût des occasions, ne se résignant pas, rêvant quand même la conquête du monde et de ses jouissances, quitte à la payer en beau joueur, de sa vie même. Et ce fut de la sorte que Sérafine trouva sûrement en lui l’homme qu’elle cherchait. Elle avait senti le besoin de lui conter une histoire, jugeant inutile de mettre sa conscience à une trop rude épreuve, par une complicité ouverte, avouée. Reine fut une nièce à elle, que sa famille lui envoyait de province, pour qu’elle consultât un médecin sur l’étrangeté de son cas, des douleurs affreuses qui la tenaient dans le bas-ventre, bien qu’elle eût toutes les apparences d’une bonne santé. Elle s’arrangea, fit comprendre le reste, offrit mille francs, de sorte que Sarraille, après un premier examen, déclara l’organe dur et gonflé, finit par diagnostiquer une tumeur. D’autres rendez-vous furent pris, Reine affectait de se plaindre de plus en plus, jetait des cris au moindre attouchement. Enfin, on décida l’opération comme l’unique remède héroïque. Il fut entendu que la malade serait opérée à la clinique même du passage Tivoli, où la convalescence, ensuite, durerait de deux à trois semaines. Sérafine avait alors imaginé le mensonge de trois semaines de repos, de vie au plein air, dans ce château du Loiret où
Page:Zola - Fécondité.djvu/391
Cette page n’a pas encore été corrigée