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D’autant plus que l’opération ne présentait aucun danger ; et elle s’offrait en exemple, disait la sécurité qu’elle goûtait maintenant, toutes ses voluptés insolentes, toute cette exaspération sensuelle dont elle ne s’avouait pas encore la fatigue, une brusque flétrissure qui tachait déjà de quelques rides son orgueilleuse beauté. Quand elle la vit ébranlée, elle lui parla de son père, lui expliqua que, dans ce cas, elle pourrait rester près de lui puisqu’il répugnait tant à la marier et qu’elle-même préférait vivre libre, sans liens ni devoirs. Ne serait-ce donc rien d’aimer à sa guise, selon son caprice du moment, de se donner à l’homme qu’elle désirerait, certaine de n’être jamais mère, de pouvoir toujours se reprendre ? Elle resterait souveraine maîtresse de sa vie, elle connaîtrait, elle épuiserait toutes les ivresses, sans crainte ni remords. Il lui suffirait d’être assez adroite pour garder le secret de ses joies, petite comédie bien permise, facile à jouer avec ce tendre et faible Morange, qui passait les journées à son bureau. Et, lorsqu’elle la vit rassurée, résolue, elle l’embrassa furieusement, ravie de cette adepte nouvelle, si jeune, si belle, en l’appelant sa chère fille.

Dès lors, il ne s’agissait plus que de savoir où prendre le chirurgien qui consentirait à l’opération. Elle ne songea pas un instant à Gaude, c’était un trop gros personnage, qu’elle jugeait incapable de se risquer dans une pareille histoire. Tout de suite, d’ailleurs, elle avait trouvé l’homme, Sarraille, l’élève de Gaude, celui qui avait aidé le maître à l’opérer elle-même. Elle le connaissait bien, avait reçu ses aveux, aux heures de convalescence, le savait enragé de sa laideur, de ce masque épais et blafard, aux rares poils de barbe, aux durs cheveux collés sur les tempes, qui devait, disait-il avec un désespoir empoisonné, l’empêcher de jamais réussir près des femmes, ses clientes. C’était la faillite de son existence,