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tort de ne pas lui donner un petit frère. D’ailleurs, elle affectait d’avoir reçu une confidence, elle savait que la femme, plus encore que le mari, s’obstinait. Et, tout en clignant les yeux, à cause de Reine, dont le nez s’était candidement baissé sur son assiette, elle finit par raconter qu’elle avait une amie qui ne voulait pas d’enfants, tandis que son mari en voulait : alors, cette amie s’arrangeait.

— Mais, dit Mathieu en riant, il me semble que vous aussi, vous vous arrangez.

— Oh ! s’écria Morange, comment pouvez-vous nous comparer, nous autres pauvres gens, à monsieur et à madame Beauchêne, qui sont si riches ? Qu’ils me donnent donc leur fortune, leur position, et je consens à avoir une ribambelle d’enfants !

— Et puis, dit Valérie avec un frisson, merci ! pour être affligés d’une fille encore ! Ah ! si nous étions sûrs d’avoir un garçon, je ne dis pas, nous nous laisserions peut-être tenter. Mais j’ai trop peur, je crois bien que je suis comme ma mère, qui a eu quatre filles. Vous ne vous imaginez pas ça, c’est une abomination !

Ses yeux s’étaient fermés, elle revoyait l’affreux ménage, les quatre gamines effarées, efflanquées, attendant des mois les bottines, les robes, les chapeaux, montant en graine, dans la terreur de ne pas trouver de maris. Les filles, il fallait les doter.

— Non, non ! reprit-elle sagement, nous serions trop coupables, voyez-vous, d’aggraver encore notre situation. Quand on a sa fortune à faire, c’est un crime que de s’embarrasser d’enfants. Je ne m’en cache pas, je suis très ambitieuse pour mon mari, je suis convaincue que, s’il veut m’écouter, il montera aux plus hautes places ; et l’idée que je pourrais l’entraver, l’étouffer, avec le tas de filles qui a été la pierre au cou pour mon père, me fait une véritable horreur… Tandis que j’espère bien, en