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qu’un déchet immense, de la vie gâchée, anéantie, de l’humanité assassinée. En dix ans, le couteau des châtreurs de femmes nous a fait plus de mal que les balles prussiennes, pendant l’année terrible. »

À Chantebled, Mathieu et Marianne fondaient, créaient, enfantaient. Et, pendant les quatre années qui se passèrent, ils furent de nouveau victorieux dans l’éternel combat de la vie contre la mort, par cet accroissement continu de famille et de terre fertile, qui était comme leur existence même, leur joie et leur force. Le désir passait en coups de flamme, le divin désir les fécondait, grâce à leur puissance d’aimer, d’être bons, d’être sains, et leur énergie faisait le reste, la volonté de l’action, la tranquille bravoure au travail nécessaire, fabricateur et régulateur du monde. Mais, durant les deux premières années, ce ne fut pas sans une lutte constante que la victoire leur resta. Il y eut deux hivers désastreux, des neiges, des glaces ; puis, lorsque soufflèrent les vents de mars, des grêles tombèrent, des ouragans couchèrent les blés. Comme Lepailleur, avec son rire d’envieux et d’impuissant, les en avait menacés, il sembla que la terre se fît marâtre, ingrate pour leur travail, indifférente à leurs pertes. Ces deux années-là, ils ne se tirèrent d’affaire que grâce aux vingt autres hectares qu’ils avaient acquis de Séguin, à l’ouest du plateau, tout un élargissement de terre grasse, conquise de nouveau sur les marais, dont la première moisson, malgré les coups de gelée, fut prodigieuse. En s’accroissant, le domaine devenait fort, supportait les chances mauvaises. Ils eurent aussi de grands soucis de famille, les cinq enfants déjà nés leur coûtèrent bien des inquiétudes, bien des fatigues. De même que pour la terre, c’était une bataille quotidienne, des soins, des craintes, un sauvetage de chaque jour. Gervais, le dernier, faillit mourir, d’une fièvre maligne. La petite Rose, elle aussi les