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en me répétant que je serais sûrement morte dans un mois. Vous comprenez, ce n’est pas agréable de vivre avec une telle pensée, on en arriverait à se laisser couper bras et jambes ; d’autant plus que, lorsque je leur demandais des explications sur ce qu’ils voulaient me faire, ils ne me répondaient pas, ou bien en parlaient comme d’une chose sans conséquence, qui se pratique tous les jours et dont on ne sent même pas la douleur. Enfin, vous n’avez pas idée du nombre de femmes qui consentent à y passer, c’était par trois, par quatre, chaque matin, qu’on les emmenait de la salle, puis qu’on les ramenait, en racontant qu’elles étaient guéries… Et voilà comment je me suis décidée à y passer à mon tour, oh ! de bonne volonté et bien contente aujourd’hui que ce soit fait.

— Tout de même, interrompit Bénard, la bouche pleine, ils auraient bien pu, le dimanche où je suis resté plus d’une heure près de toi, m’avertir qu’ils allaient t’enlever tout. C’est une chose, il me semble, qui regarde un mari, et ça ne devrait pas se faire sans qu’on eût son autorisation… Toi-même, tu n’as pas été prévenue, tu es demeurée toute bête, lorsque tu as su que tu n’avais plus rien. »

Euphrasie s’irrita, le fit taire d’un geste.

« Si, j’ai été prévenue… C’est-à-dire qu’ils ne m’ont pas dit la chose nettement. Mais je voyais bien ce qui se passait pour les autres, je me doutais bien que je n’allais pas te revenir entière… Enfin, que veux-tu ? un peu plus, un peu moins, va ! tu n’as rien à regretter, du moment que ça ne se voit pas. J’aime mieux ça qu’une coupure à la joue. »

Mais il continuait à gronder, le nez dans sa soupe.

« Ça n’est pas mon avis. Ils devaient m’avertir. Ils devaient commencer par t’expliquer que, puisqu’ils t’enlevaient tout, tu n’aurais jamais plus d’enfant. »