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promener, de lui expliquer, de lui faire toucher les choses. Et ce qui le frappait surtout, c’était un air de déjà vu, un arrangement du salon qu’il connaissait, les bibelots de la chambre placés d’une certaine façon. Puis, il se souvint, les Morange avaient essayé, sans doute à leur insu, de copier les Beauchêne, dans l’admiration profonde, la sourde envie où ils étaient. Eux, toujours à court d’argent, ne pouvaient disposer que d’un luxe de pacotille ; mais, tout de même, ils étaient fiers de ce luxe, ils croyaient se rapprocher de la classe supérieure et jalousée, en l’imitant de loin.

— Et, enfin, dit Morange, qui ouvrit la fenêtre de la salle à manger, il y a ceci.

Un balcon régnait sur toute la longueur de l’appartement. À cette hauteur, la vue était réellement fort belle, la Seine au loin et les hauteurs de Passy qu’on apercevait par-dessus les toits, la même vue dont on jouissait de l’hôtel Beauchêne, mais élargie.

Aussi Valérie le fit-elle remarquer.

— Hein ? c’est grandiose, c’est autrement beau que les quatre arbres qu’on aperçoit du quai !

La bonne apportait les œufs à la coque, et l’on se mit à table, pendant que Morange, victorieux, expliquait que tout ça lui coûtait seize cents francs net. C’était pour rien, bien que cette somme grevât lourdement le budget du ménage. Mathieu, qui finissait par comprendre qu’on l’avait surtout invité pour lui montrer l’appartement nouveau, s’en égayait sans rancune, tant ces bonnes gens semblaient heureux de triompher devant lui. N’ayant pas le moindre calcul d’ambition, n’enviant rien du luxe côtoyé chez les autres, satisfait jusque-là de sa vie étroite, près de sa Marianne et de ses enfants, il s’étonnait simplement de cette famille torturée du besoin de paraître et de s’enrichir, il la regardait d’un air de surprise, avec un sourire un peu triste.