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Jamais il l’avait trouvée si belle, d’une beauté si forte et si calme, dans ce triomphe de la maternité heureuse, comme divinisée par ce fleuve de lait qui avait ruisselé d’elle, coulant par le monde. Toute une gloire chantait, gloire à la source de vie, gloire à la mère véritable, à celle qui nourrit après avoir enfanté, car il n’en est pas d’autres, les autres ne sont que d’incomplètes et lâches ouvrières coupables d’incalculables désastres. Et à la voir ainsi, dans cette gloire, au milieu de ses enfants vigoureux, telle que la bonne déesse, en constante fertilité, déjà prête pour demain, il sentit qu’il l’adorait, qu’il la voulait, d’un désir accru, la flamme inextinguible de l’immortel soleil. Le divin désir passait, l’âme brûlante dont les champs palpitent, qui roule dans les eaux et flotte dans le vent engendrant à chaque seconde des milliards d’êtres. Peut-être ne fut-il grisé que par l’odeur à peine sensible de sa chevelure, comme par un parfum de fleur lointaine. Peut-être n’y eut-il, entre eux, que la tendresse conquérante d’un simple regard échangé, la reprise mutuelle de tout ce qui, chez l’un, appartenait à l’autre. Et ce fut délicieux, l’extase où ils tombèrent, l’oubli du reste du monde, de tous ces gens qui étaient là. Ils ne les virent plus, n’eurent plus que le besoin de se reprendre, de se dire qu’ils s’aimaient, que la saison était venue où refleurissait l’amour. Il avança les lèvres, elle tendit les siennes, et ils se baisèrent.

« Eh bien ! ne vous gênez pas, cria gaillardement Beauchêne. Qu’est-ce qui vous prend ?

— Voulez-vous que nous nous en allions ? » ajouta Séguin.

Et, pendant que Valentine riait follement et que Constance restait gênée, l’air prude, Morange eut ce mot profond de regret, d’une voix où remontaient des larmes :

« Ah ! vous avez bien raison ! »