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de voir reparaître l’autre, l’enfant de Norine, jeté là-bas, on ne savait où. Et il y eut un silence, les cris aigus des garçons et des fillettes, jouant à cache-cache, retentirent, pendant qu’un vol de petites ombres passaient dans le beau soleil, les petits maudits des maisons de sage-femme, des hôpitaux et de l’Administration, les tout-petits à peine nés, ramassés, emportés par les meneuses, abandonnes au hasard dans les coins, morts de froid et de faim peut-être. C’était l’affreux déchet volontaire de la moisson humaine, et quelle épouvante brusque, quelle pitié au cœur !

Mathieu n’avait pu trouver un mot de réponse. Son émotion s’attendrit encore, lorsqu’il aperçut Morange, affaissé sur une chaise, regardant le petit Gervais rire et marcher, s’absorbant dans la vue de cette enfance si gaie et si saine, les yeux troubles, peu à peu gonflés de larmes. Venait-il de voir, lui aussi, passer le fantôme de la morte, emmenée par l’enfant qu’ils avaient refusé d’accueillir, le garçon tant désiré autrefois, qui s’en était allé avant que d’être ? Les spectres tragiques évoquaient l’abominable bouge, toute la maternité sanglante, assassinée, dans ce coin de jardin ensoleillé, que le jeu éperdu des enfants emplissait d’une si joyeuse turbulence.

« Que votre Reine est délicieuse ! dit Mathieu, pour le tirer de la hantise de son remords. Regardez-la donc courir, si gamine, comme si elle n’était pas bientôt bonne à marier ! »

Morange, qui avait lentement levé la tête, regarda sa fille ; et, dans ses yeux, encore mouillés de larmes, un sourire reparut, toute une adoration chaque jour croissante. À mesure qu’elle grandissait, il trouvait qu’elle ressemblait davantage à sa mère, il était pris pour elle d’une passion, où avaient sombré ses autres tendresses, ses désirs et ses égoïsmes d’homme. Rien n’existait plus que de la rendre très belle, très heureuse, très riche. Ce