Page:Zola - Fécondité.djvu/346

Cette page n’a pas encore été corrigée

l’après-midi d’un dimanche. Ils avaient même décidé Morange à être de la fête, avec Reine, ayant comploté ensemble de le tirer, pour un jour, de anéantissement douloureux où il vivait. Dès que ce beau monde fut débarqué du chemin de fer, on fit la partie de monter sur le plateau, pour voir le fameux champ, car c’était la curiosité de tous, tant l’idée que Mathieu avait eue de retourner à la terre, de se faire paysan, leur semblait extravagante, inexplicable. Il riait gaiement, il eut au moins un succès de profonde surprise, quand, du geste, il montra le champ qui déroulait à l’infini, sous le grand ciel bleu, la mer des tiges vertes devenues hautes, des épis déjà lourds, ondulant aux moindres brises. Par le chaud et splendide après-midi, c’était la fécondité triomphante, une poussée des germes que le sol gras, le terreau accumulé par les siècles, avait nourris d’une prodigieuse sève, déterminant cette première et formidable moisson, comme pour glorifier l’éternelle source de vie qui dort aux flancs de la terre. Le lait avait coulé, le blé grandissait de partout en un débordement d’énergie, créait de la santé et de la force, disait le travail de l’homme, la bonté et la solidarité du monde. Il était la mer bienfaisante, nourrissante, où toutes les faims s’apaiseraient, où demain pourrait naître, de cette houle des tiges qui portait la bonne nouvelle, d’un bout à l’autre de l’horizon. Jamais champ si victorieux n’avait flambé sous un plus beau soleil. Ni Constance, ni Valentine n’en étaient très touchées, indifférentes devant cette herbe, la tête occupée d’autres ambitions ; pas plus, d’ailleurs, que Morange, qui, les yeux vagues et éteints, semblait regarder sans voir. Mais Beauchêne et Séguin se récriaient, en se souvenant de leur visite au mois de janvier, lorsque la terre glacée dormait encore, mystérieuse. Ils n’avaient rien deviné, ils restaient effarés devant ce miraculeux réveil, cette fertilité conquérante qui avait changé un