Page:Zola - Fécondité.djvu/345

Cette page n’a pas encore été corrigée

vapeur, pour moudre tout le blé de mon domaine, là-bas à droite, à gauche, partout ! »

Son geste embrassait de si vastes terres, que le meunier, vexé se fâcha presque, n’aimant pas qu’on se moquât de lui. Il allongea un grand coup de fouet à son cheval, la voiture repartit en cahotant dans les ornières.

« Blé qui lève n’est pas blé au moulin… Au revoir, et bonne chance tout de même !

— Merci, au revoir ! »

Tandis que les enfants couraient, cherchaient les précoces primevères, parmi les mousses. Mathieu vint s’asseoir un instant à côté de Marianne, qu’il sentait toute frissonnante. Il ne lui dit rien, il la savait assez forte, de confiance assez solide, pour surmonter d’elle-même la crainte où des menaces d’avenir pouvaient jeter son cœur de femme. Simplement, il s’était mis là, si près d’elle, qu’il la touchait, la regardant, lui souriant. Et, tout de suite, elle se calma, elle retrouva son sourire, elle aussi, tandis que le petit Gervais, que les propos des méchants ne troublaient pas encore, continuait sans perdre une gorgée, tétait de plus belle, avec son ronron vorace de béate satisfaction. Le ruissellement du lait coulait, coulait sans cesse, gonflait les petits membres de jour en jour plus forts, se répandait dans la terre, emplissait le monde, nourrissait la vie accrue à chaque heure, épanouie en une éternelle floraison. N’était-ce pas la réponse de foi et d’espoir à toute menace de mort, la victoire certaine de la vie, les beaux enfants qui toujours grandiront au soleil, les belles récoltes dont les nappes vertes monteront toujours du sol, à chaque printemps ? Demain, une fois de plus, au jour glorieux de la moisson, les blés auront mûri, les enfants seront des hommes.

Et il en fut ainsi, trois mois plus tard, lorsque les Beauchêne et les Séguin, tenant leur promesse, vinrent tous, les maris, les femmes, les enfants, passer à Chantebled