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si mal, il s’obstina, ne voulant pas se rendre, affectant un air de doute ironique.

« Alors, vous croyez que ça poussera ?… Ah ! on ne peut pas dire que ça n’a pas levé. Seulement, faut voir si c’est capable de mûrir. »

Et, comme Mathieu souriait tranquillement dans son espoir, dans sa certitude :

« Ah ! dame, continua-t-il, cherchant à empoisonner sa joie, quand vous connaîtrez la terre, vous verrez bien qu’elle est pareille à ces sales femmes, dont on ne sait jamais si l’on aura, jusqu’au bout, du plaisir ou de la peine. J’en ai vu, de ces récoltes, qui s’annonçaient magnifiques ; et puis, il suffisait d’une trahison de la gueuse, un orage, un coup de vent, des fois même rien, un caprice, et tout coulait, c’était la ruine !… Mais vous êtes encore trop jeune dans le métier, le malheur fera votre apprentissage. »

Sa femme, qui l’écoutait parler si bien, en l’approuvant d’un hochement de tête, s’en prit à Marianne.

« Ce n’est pas pour vous décourager, madame, ce que mon homme vous dit là. La terre, vous savez, c’est comme les enfants. Il y en a qui vivent, il y en a qui meurent, les uns vous apportent de l’agrément, les autres vous tuent de chagrin. Mais, si l’on compte bien, on donne toujours plus qu’on ne reçoit, et l’on finit quand même par être dupe. Vous verrez, vous verrez ! »

Doucement, sans répondre, Marianne avait levé sur Mathieu des yeux confiants, émue de ces méchantes prédictions. Et Mathieu, un instant irrité devant tout ce qu’il sentait là d’ignorance, d’envie et d’ambition imbéciles, se contenta de plaisanter.

« C’est cela, nous verrons… Quand votre fils Antonin sera préfet, et que mes douze filles ne seront plus que des paysannes, je vous inviterai à leurs noces, car ce sera votre moulin qu’on aura dû rebâtir, avec une belle machine à