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le leur enleva. Et, une fois de plus, à cette place, noyée avec lui dans les jeunes herbes, elle lui donna le sein, disant en plaisantant qu’il avait mérité ce régal, bien que l’heure du repas ne fût pas tout à fait venue. D’ailleurs, il était toujours prêt, il enfouit sa large face avec une hâte gourmande, on n’entendit plus que le petit ruissellement du lait, qui se remettait à couler par les veines du monde, pour achever de nourrir les moissons futures.

À ce moment, il y eut une rencontre. Le long du champ, passait un chemin de traverse, en assez mauvais état, qui conduisait à une bourgade voisine. Et, justement, une charrette en débouchait, cahotée dans les ornières, conduite par un paysan que la vue des terrains défrichés absorbait à un tel point, qu’il aurait laissé son cheval monter sur un tas de cailloux, si la femme, qui était avec lui, n’avait tiré brusquement sur les guides. Le cheval s’arrêta, l’homme cria, goguenard :

« Alors, c’est ça votre ouvrage, monsieur Froment ? »

Mathieu et Marianne reconnurent les Lepailleur, les gens du moulin. Ils n’ignoraient pas les gorges chaudes qu’on faisait à Janville sur la folie de leur tentative, cette idée de récolter du blé dans les marais du plateau. Lepailleur, surtout, se distinguait par des plaisanteries violentes contre ce Parisien, ayant une bonne place, étant un monsieur, et bête au point de se faire paysan, de jeter ses quatre sous à cette gueuse de terre, qui les avalerait, lui, ses mioches, ainsi que ses quatre sous, sans rendre seulement assez de farine pour tous les accommoder. Aussi la vue du champ venait-elle de le stupéfier. Il n’était point passé par là depuis longtemps, jamais il n’aurait cru que la semence lèverait si dru, car il avait répété cent fois que pas un grain ne pousserait tant ces terres étaient pourries. Mais, bien qu’il étranglât d’une sourde colère, à voir sa prédiction se réaliser