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l’enfant tant désiré se trouva être une fille, et elle en eut un frisson, elle se vit, si elle recommençait, avec quatre filles sur les bras, comme sa mère. Alors, son rêve fut autre, s’en tenir obstinément à sa petite Reine, pousser son mari aux plus hautes places, doter sa fille richement, entrer enfin par eux, avec eux, dans cette sphère supérieure, dont les fêtes, les jouissances l’affolaient de désir. Lui, médiocre, faible et tendre, et qui l’adorait, finissait par brûler d’une même ambition, roulait pour elle de vastes projets d’orgueil et de conquête. Il était depuis huit années à l’usine Beauchêne, il n’y gagnait encore que cinq mille francs, et le ménage commençait à désespérer, car ce n’était pas en restant là que le comptable ferait jamais fortune.

— Tenez ! dit-il, après avoir suivi le boulevard de Grenelle pendant environ trois cents mètres, c’est cette maison neuve, là-bas, au coin de cette rue. N’est-ce pas qu’elle a grand air ?

Mathieu aperçut une de ces hautes bâtisses modernes, ornées de balcons et de sculptures, qui jurait au milieu des petites maisons pauvres du quartier.

— Mais c’est un palais ! s’écria-t-il pour faire plaisir à Morange, qui se rengorgea.

— Mon cher, vous allez voir l’escalier… Vous savez, c’est au cinquième. Seulement, avec un escalier pareil, et si doux, qu’on le monte sans le savoir !

Il fit entrer son invité dans le vestibule, comme dans un temple. Les murs de stuc luisaient, il y avait un tapis sur les marches et des vitraux aux fenêtres. Puis, au cinquième, quand il eut ouvert la porte avec sa clef, il répéta simplement d’un air ravi :

— Vous allez voir, vous allez voir.

Mais Valérie et Reine devaient être aux aguets. Elles accoururent. À trente-deux ans, Valérie était charmante, l’air très jeune encore : une brune aimable, la face ronde et souriante, encadrée de beaux cheveux, un peu