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sur le sein de Marianne, Gervais lui-même s’était à moitié endormi, en tétant, buvant désormais d’une lèvre si lente, que le ruissellement du lait n’était plus qu’un murmure insensible, à peine le petit bruit de la semence hivernale, nourrie par l’éternel fleuve vivant qui coule dans les veines du monde.

Deux mois se passèrent, et l’on était en janvier, le jour de grande gelée où les Froment reçurent la visite imprévue de Séguin et de Beauchêne, venus pour la chasse aux canards, parmi les mares non encore drainées du plateau. C’était un dimanche, toute la famille se trouvait réunie dans la vaste cuisine, égayée d’un grand feu ; tandis que, par les fenêtres claires, on apercevait la campagne vaste, blanche de givre, raidie et dormante sous cette châsse de cristal, pareille à la morte sacrée, que la résurrection d’avril attendait. Et, ce jour-là, quand les visiteurs se présentèrent, Gervais dormait également dans son berceau très blanc, assoupi par la saison, gras cependant comme les alouettes à l’époque des froids, n’attendant, lui aussi, que le réveil, pour réapparaître en sa force acquise, amassée, soudain décisive et triomphale.

La famille avait gaiement déjeuné ; et, maintenant, avant que la nuit tombât, les quatre enfants s’étaient réunis devant la fenêtre, autour d’une table, absorbés dans un jeu de création, qui les passionnait. Les deux jumeaux, Blaise et Denis, aidés de l’autre garçon, Ambroise, bâtissaient tout un village, avec des morceaux de carton et de la colle. Il y avait des maisons, une mairie, une église, une école. Et Rose, à qui l’on avait défendu l’usage des ciseaux, n’était préposée qu’à l’emploi de la colle, dont elle s’inondait jusqu’aux cheveux. Dans la grande paix où sonnaient de temps à autre leurs rires, le père et la mère étaient restés assis côte à côte, en face du grand feu, goûtant délicieusement cette paix du dimanche, après le dur