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jeunes paysannes, d’air agréable et proprement mises. Toutes trois, l’heure du repas étant passée, mangeaient vivement de la charcuterie, sans assiette ni fourchette, et il était à croire que, débarquée à l’instant, la meneuse, après avoir livré son lot de nourrices, se hâtait de se restaurer un peu, pour filer à ses autres courses, avec ces deux-là qui lui restaient de sa cargaison. La salle à manger, aux tables humides de vin, aux murs tachés de graisse, soufflait jusque dans l’allée une odeur d’évier mal tenu.

« Vous connaissez la Couteau ! s’écria Boutan, lorsque Mathieu lui eut conté ses rencontres. Alors, mon cher, vous avez touché le fond du crime. La Couteau, c’est l’ogresse… Et dire qu’avec notre belle organisation sociale, elle est un rouage utile, et que je vais sans doute être heureux de pouvoir remplir ma mission, en choisissant une des nourrices qu’elle vient d’amener ! »

Mais Mme Broquette, très aimable, les fit entrer dans le bureau. Après avoir longuement réfléchi devant tout ce que la maison avait de mieux en fait de gorges nourricières, le vieux monsieur s’en était allé, sans arrêter son choix, en disant qu’il reviendrait.

« Il y a des gens qui ne savent pas ce qu’ils veulent, déclara judicieusement Mme Broquette. Ce n’est pas ma faute, je vous prie de m’excuser mille fois, monsieur le docteur… Et si vous désirez une bonne nourrice, vous allez être content, car il vient justement de m’en arriver d’excellentes… Je vais vous montrer ça. »

Herminie n’avait pas même daigne lever le nez de son roman. Elle resta au fond de son fauteuil, lisant toujours, avec sa mince figure de chlorose, noyée de lassitude et d’ennui. Un peu à l’écart Mathieu, après s’être assis, se contentait de regarder, tandis que Boutan, tel qu’un capitaine passant une revue, demeurait debout très attentif, l’œil à chaque détail. Et le défilé commença.