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ses hésitations dernières ? Quand l’idée lui fut venue de consulter Boutan, il lui demanda tout de suite un rendez-vous. C’était le confident dont il avait besoin, un esprit large, brave, adorateur de la vie, une intelligence vaste, dégagée des étroitesses du métier, qui verrait au-delà des difficultés premières de l’exécution.

Tout de suite, dès qu’ils furent assis face à face, aux deux côtés de la table, Mathieu, passionnément, se confessa, exposa tout au long son rêve, son poème, comme il disait lui-même en riant. Sans l’interrompre, le docteur l’écouta, gagné visiblement par son émotion grandissante de créateur. Enfin, lorsqu’il dut se prononcer :

« Mon Dieu ! mon ami, je ne puis pratiquement vous rien dire car je n’ai jamais planté une salade. J’ajoute même que votre projet me paraît d’une témérité telle, que, sûrement, tout homme du métier, si vous en consultez un, vous en détournera par les raisons les plus solides, les plus convaincantes du monde. Seulement, vous parlez de cette œuvre avec une foi superbe, un amour brûlant, qui viennent de me donner, à moi profane, la certitude absolue que vous réussirez. D’autre part, vous flattez toutes mes idées, voilà plus de dix ans que je ne cesse de démontrer la nécessité, pour la France, si elle veut refleurir les familles nombreuses, de se remettre à la passion, au culte de la terre, de déserter les villes pour la vie forte et féconde des champs. Comment voulez-vous que je ne vous approuve pas. Je vous soupçonne même de n’être venu ici, comme tous les demandeurs de conseils, que dans la pensée de trouver en moi un frère, prêt au même combat. »

Ils rirent de bon cœur tous les deux. Puis, Boutan lui ayant demandé avec quels capitaux il se mettrait en marche, Mathieu expliqua tranquillement son projet de ne point s’endetter, de débuter par quelques hectares à peine, s’il le fallait, certain de la force conquérante du