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faire !… Moi, vous comprenez, j’aimerais autant autre chose. J’en ai eu la terreur, dans les premiers temps. Mais, que voulez-vous ? il faut bien se soumettre, et je cédais, je n’avais pas envie naturellement que mon homme allât voir d’autres femmes. Puis, il n’est pas méchant, il travaille, il ne boit pas trop, et quand un homme n’a que ça pour plaisir, ce serait vraiment malheureux, n’est-ce pas ? que sa femme le contrarie.

Le docteur Boutan intervint, pour poser une question, de son air tranquille.

— Vous ne saviez donc pas que, même en s’amusant, on peut prendre des précautions ?

— Ah ! dame, monsieur, ça n’est pas toujours commode. Les soirs où un homme rentre un peu gai, après avoir bu un litre avec les camarades, il ne sait pas trop ce qu’il fait. Et puis, Moineaud dit que ça lui gâte son plaisir.

Dès lors, ce fut le docteur qui l’interrogea, en évitant de regarder les Beauchêne. Mais sa malice souriait dans ses petits yeux, et il était visible qu’il s’amusait à reprendre les raisonnements de l’usinier contre la fécondité trop grande. Il affectait de se fâcher, de reprocher ses dix enfants à la Moineaude, des malheureux, de la chair à canon ou à prostitution, lui déclarant que, si elle était misérable, c’était bien sa faute ; car, lorsqu’on veut faire fortune, on ne va pas s’embarrasser d’une séquelle d’enfants. Et la pauvre femme répondait tristement qu’il avait bien raison ; mais l’idée ne pouvait pas même leur venir de faire fortune, Moineaud savait qu’il ne serait jamais ministre ; et, alors, ça ne faisait ni chaud ni froid, d’avoir sur les bras plus ou moins d’enfants ; ça aidait même, d’en avoir beaucoup, quand les enfants étaient en âge de travailler.

Devenu muet, Beauchêne se promenait à pas lents. Un embarras, un malaise grandissait, et Constance se hâta de reprendre :