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enfin la Couteau, il n’y eut qu’un croassement, toutes les cinq fondirent vers elle, d’un vol furieux et vorace. Et, après un violent échange de cris, d’aigres explications, les six se rassemblèrent, se ruèrent vers le train, les rubans des bonnets flottants, les jupes envolées, emportant les nourrissons dans un même départ d’oiseaux de proie, qui craignaient de manquer le retour au charnier. Elles s’engouffrèrent au milieu de la fumée et des coups de sifflet, elles disparurent.

Mathieu était resté seul, dans la vaste foule. C’était ainsi, par an, vingt mille enfants que les corneilles de mauvais augure emportaient de Paris, et qu’on ne revoyait plus. Il ne suffisait pas que la semence humaine fût gâchée, jetée pour le plaisir au pavé brûlant, il ne suffisait pas que la moisson fût mal récoltée, qu’il y eut l’affreux déchet des avortements et des infanticides, il fallait encore que la moisson vivante fût mal mise en grange, que la moitié s’en trouvât détruite, écrasée, tuée. Le déchet continuait, des voleuses et des assassines, flairant le lucre, arrivaient des quatre coins de l’horizon, remportaient au loin tout ce que leurs bras pouvaient tenir de vie naissante, balbutiante, pour en faire de la mort. Elles étaient les rabatteuses, guettaient aux portes, sentaient de loin la chair innocente. Et le grand charriage roulait vers les gares, elles vidaient les berceaux, les salles des hôpitaux et des maternités, les refuges discrets de l’administration, les chambres louches des sages-femmes, les taudis misérables des accouchées sans feu et sans pain. Tous les paquets étaient mis en tas, bousculés, expédiés, distribués, là-bas, à l’inconnu, au meurtre inconscient ou volontaire. Les rafles passaient en coups de vent, la faux abattait des épis à chaque heure, sans connaître de morte-saison. De même qu’on les avait mal semés, mal moissonnés, les tous petits allaient être mal nourris. Et de là venait le déchet monstrueux, les enfants