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Seulement, monsieur, moi, je suis une honnête femme, je suis autorisée par le maire de mon pays, j’ai un certificat de moralité que je puis montrer à tout le monde. Et, si vous allez jamais à Rougemont, parlez donc de Sophie Couteau : on vous dira que c’est une travailleuse, qui ne doit pas un sou a personne. »

Mathieu ne put s’empêcher de la regarder, pour voir de quel front elle faisait ainsi son éloge. Ce plaidoyer le frappait, venant en réponse à tout ce que Victoire avait raconté, comme si la meneuse, avec son flair de paysanne rusée, devinait les accusations portées contre elle. Lorsqu’elle se sentit fouillée jusqu’à l’âme, d’un coup d’œil perçant, elle dut craindre de n’avoir pas menti avec assez d’aplomb, de s’être trahie par quelque négligence, car elle n’insista pas, se fit plus douce, ne célébra plus que ce paradis de Rougemont, où les enfants étaient accueillis, nourris, soignes, dorlotés, comme des fils de prince. Puis, elle se tut de nouveau, en voyant que le monsieur ne desserrait pas les lèvres. C’était inutile de vouloir le conquérir, celui-là. Et le fiacre roula, roula toujours ; les rues succédaient aux rues, encombrées, bruyantes ; on avait traversé la Seine, on arrivait au Luxembourg. Ce fut seulement après avoir dépassé le jardin que la Couteau dit encore :

« Tant mieux, si cette petite dame s’imagine que son enfant gagnera quelque chose à passer par les Enfants-Assistés… Vous savez, monsieur, je n’attaque pas l’Administration, mais il y a, tout de même, beaucoup à dire aussi. Nous en avons en quantité, à Rougemont, des nourrissons qu’elle nous enlève, et ceux-là, je vous assure, ne poussent pas mieux, meurent aussi bien que les autres… Enfin, il faut laisser chacun agir selon ses idées. Mais je voudrais que vous puissiez, comme moi, savoir tout ce qui se passe là-dedans. »

Le fiacre s’arrêta dans le haut de la rue Denfert-