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« Non, non, emportez-le, emportez-le tout de suite, ne recommencez pas à me faire souffrir ! »

Et elle fermait aussi les paupières, et elle repoussait du bras l’image dont on la poursuivait. Cependant, quand elle sentit que la meneuse posait l’enfant sur le lit, elle eut un frisson, elle se souleva, donna dans le vide un grand baiser éperdu, qui rencontra le petit bonnet. Elle avait à peine entrouvert ses yeux obscurcis de larmes, elle ne dut voir que le vague fantôme de ce pauvre être criant et se débattant, à l’heure où il était jeté à l’inconnu.

« Vous me faites mourir, emportez-le, emportez-le ! »

Dans le fiacre, l’enfant se tut brusquement, soit que le bercement de la voiture le calmât, soit qu’il fût émotionné par le bruit grinçant des roues. La Couteau, qui l’avait pris sur elle, garda d’abord le silence, parut s’intéresser aux trottoirs, où luisait un clair soleil ; tandis que Mathieu, en sentant sur ses genoux les pieds du pauvre être, rêvait douloureusement. Puis, tout d’un coup, elle parla, elle continua tout haut ses réflexions.

« Cette petite dame a eu grand tort de ne pas me le confier. Je l’aurais si bien placé, il aurait poussé comme un charme, à Rougemont… Mais voilà, toutes s’imaginent que l’idée seule du commerce nous fait les tourmenter. Je vous demande un peu ! si elle m’avait donné cent sous pour moi, et qu’elle m’eût payé mon retour, est-ce que cela l’aurait ruinée ? Une belle fille comme elle trouve toujours de l’argent… Je sais bien que, dans notre métier il y en a qui ne sont guère honnêtes, qui trafiquent, exigent des primes, placent ensuite les nourrissons au rabais, en volant à la fois les parents et la nourrice. Ça, ce n’est guère beau, de faire de ces petits êtres mignons des choses à vendre, comme qui dirait de la volaille ou des légumes. À ce négoce, je comprends qu’on endurcisse le cœur et qu’on les bouscule, qu’on se les passe de main en main, sans plus de respect que si c’était de la marchandise…