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« Sans doute, reprit la bonne, on en raconte moins aujourd’hui qu’autrefois sur Rougemont. Mais, tout de même, ce qu’il en reste c’est à vous dégoûter de faire des enfants… Nous connaissons trois ou quatre nourrisseuses qui ne valent pas cher. Vous savez que l’élevage au biberon est la règle, et si vous voyiez quels biberons, jamais nettoyés, d’une crasse répugnante, avec du lait glacé en hiver, tourné en été ! La Vimeux, elle, trouve que le biberon, ça revient encore cher, et elle nourrit tout son monde à la soupe, ça les expédie plus vite, ils ont tous de gros ventres bouffis, à croire qu’ils vont éclater. Chez la Loiseau, la saleté est telle, qu’il faut se boucher le nez, quand on approche du coin où les petits sont couchés sur de vieux chiffons, dans leur ordure. Chez la Gavette, la femme va aux champs avec son homme, de sorte que la garde des trois ou quatre nourrissons qui sont toujours là, est laissée au grand-père, un vieux de soixante-dix ans, infirme, incapable même d’empêcher les poules de venir piquer les yeux des petits. C’est encore mieux chez la Cauchois, qui, n’ayant personne pour les garder, les attache dans les berceaux, de peur qu’ils ne se cassent la tête en tombant par terre. Et vous visiteriez toutes les maisons du village, que vous trouveriez la même chose partout. Pas une maison qui ne trafique sur cette marchandise. Autour de chez nous, il y a des pays où l’on fait de la dentelle, d’autres où l’on fait du fromage, d’autres où l’on fait du cidre. À Rougemont, on fait des petits morts. »

Brusquement, elle cessa de coudre, elle regarda Mathieu, de ses yeux clairs d’innocente effarouchée.

« Mais le plus beau, c’est la Couillard, une vieille voleuse, qui a fait jadis six mois de prison, et qui est maintenant établie un peu en dehors du village, à l’entrée du bois… Jamais un enfant vivant n’est sorti de chez la Couillard. C’est sa spécialité. Quand on voit une meneuse,