Page:Zola - Fécondité.djvu/266

Cette page n’a pas encore été corrigée

banquettes des salles d’attente ; même, un jour, une meneuse de Rougemont en oublia un, et ça fit toute une histoire, parce qu’on retrouva l’enfant mort. Puis, il fallait voir, dans les trains, quel entassement de pauvres êtres, qui criaient la faim. L’hiver surtout par les grandes neiges, ça devenait pitoyable, tant ils grelottaient, bleus de froid, à peine couverts de maillots en loques. Souvent, il en mourait, et l’on débarquait le petit cadavre à la prochaine station, on l’enterrait au cimetière le plus voisin. Vous comprenez dans quel état devaient arriver ceux qui ne mouraient pas en route. Chez nous, on soigne les cochons beaucoup mieux, car on ne les ferait sûrement pas voyager ainsi. Mon père disait que ça tirait les larmes des pierres… Mais, maintenant, il y a davantage de surveillance, les meneuses ne peuvent plus emmener qu’un poupon à la fois. Elles trichent bien, elles en emmènent deux, et puis, elles s’arrangent, elles ont des femmes qui les aident, elles profitent de celles qui rentrent au pays. Ainsi, la Couteau a toutes sortes d’inventions pour échapper à la loi. D’autant plus que tout Rougemont ferme les yeux, trop intéressé à ce que le commerce marche n’ayant qu’une crainte, celle que la police ne vienne mettre le nez dans les affaires du pays… Ah ! le gouvernement a beau envoyer des inspecteurs chaque mois, exiger des livrets, des signatures du maire, des timbres de la commune, c’est comme s’il chantait. Ça n’empêche pas les bonnes femmes de continuer tranquillement leur négoce, d’expédier tant qu’elles peuvent des petiots dans l’autre monde. Nous avions, à Rougemont, une cousine qui nous disait un jour : « La Malivoire, elle a eu de la chance, elle en a perdu encore quatre, le mois dernier. »

Un instant, Victoire s’arrêta, pour enfiler son aiguille. Norine pleurait toujours. Mathieu, muet d’horreur, écoutait, les yeux fixés sur l’enfant endormi.