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mien, tout de suite… Vous savez, moi, je suis de par là, oui ! je suis de Berville, à six kilomètres de Rougemont, et je la connais, la Couteau, on en parle assez chez nous. Quelque chose de propre ! Ça s’est d’abord fait faire un enfant dans un fossé, histoire d’être nourrice ; puis, lorsqu’elle s’est aperçue qu’elle ne pouvait pas voler assez en vendant son lait, ça s’est mis à vendre le lait des autres. Un beau métier de gueuse, dans lequel il ne faut avoir ni cœur ni âme ! Ajoutez qu’elle a eu la chance d’épouser ensuite un grand garçon brutal, qu’elle conduit à présent par le bout du nez et qui l’aide. Il amène aussi des nourrices, il remmène des poupons, quand l’ouvrage presse. À eux deux, ils ont plus de meurtres sur la conscience que tous les assassins qu’on guillotine… Le maire de Berville, un brave homme, un bourgeois retiré, disait que Rougemont était la honte du département. Je sais bien qu’entre Rougemont et Berville, il y a toujours eu de la rivalité. Mais ça n’empêche que ceux de Rougemont ne se gênent vraiment pas assez, à faire leur sale commerce avec les poupons de Paris ; où les habitants ont fini par s’en mêler, le village entier n’a pas d’autre industrie, et il faut voir comment c’est organisé pour qu’on en enterre le plus possible. Je vous réponds que la marchandise ne traîne pas dans les ménages. Plus ça roule, plus il en meurt, plus on gagne… Alors, n’est-ce pas ? ça s’explique, si la Couteau est affamée, chaque semaine, d’en emmener tant qu’elle peut. »

Elle répétait ces horribles choses de son air ahuri de fille simple, que Paris n’avait pas encore rendue menteuse, disant jusqu’au bout ce qu’elle savait.

« Et, autrefois, il paraît que c était pis. J’ai entendu mon père raconter que les meneuses, de son temps, ramenaient chacun quatre ou cinq poupons à la fois. De vrais paquets qu’elles ficelaient et qu’elles portaient sous les bras. Dans les gares, elles les rangeaient sur les