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quinze jours que vous me torturez avec cet enfant, à le garder là, près de moi en croyant que je finirai par le nourrir. Vous me l’apportez, vous me le mettez sur les genoux, pour que je le regarde et le baise. Vous êtes toujours à m’occuper de lui, à le faire crier, dans l’espoir que je m’apitoierai, que je lui donnerai le sein… Eh, mon Dieu ! vous ne comprenez donc pas que, si je détourne la tête, si je ne veux ni le baiser, ni même le voir, c’est que j’ai peur de me laisser prendre de l’aimer comme une bête, ce qui serait un grand malheur pour lui et pour moi. Il sera plus heureux tout seul… Entendez-vous ! je vous en supplie, qu’on l’emmène tout de suite, qu’on ne me martyrise pas davantage ! »

Elle était retombée, elle pleurait à gros sanglots la face enfouie au fond de l’oreiller, échevelée, avec ses belles épaules à demi nues, dans son désordre.

Muette, immobile, la Couteau était restée debout, au pied du lit, attendant. Dans sa robe de petit lainage sombre, avec son bonnet noir garni de rubans jaunes, elle gardait son air de paysanne endimanchée ; et sa figure longue, ce masque étroit de cupidité et de ruse, s’efforçait d’exprimer une bonhomie apitoyée. Bien que l’affaire lui parût manquée, elle risqua son boniment ordinaire.

« Vous savez, madame, que votre petiot serait comme chez lui à Rougemont. Il n’y a pas meilleur air dans le département, des personnes sont venues de Bayeux pour s’y guérir. Et ces petiots, si vous saviez comme on les soigne, comme on les gâte ! Tout le pays n’a que cette occupation, avoir des petits Parisiens, les dorloter, les aimer… Avec ça, je ne vous prendrai pas cher, j’ai une amie qui a déjà trois nourrissons, et comme elle les élève au biberon naturellement, ça ne la gênera guère plus d’en avoir quatre, elle vous nourrira le vôtre presque par-dessus le marché… Voyons, ça ne vous dit pas, ça ne vous tente pas ? »