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propriété, immobilisée par des locations de chasse, lui est à charge. Et, plus tard, nous verrons bien si la terre veut nous aimer et venir à nous, comme nous venons à elle… Va, va, chère femme, donne la vie à ce petit glouton, et vous, mes chéris, buvez et mangez, poussez en force, la terre est à ceux qui sont la santé et le nombre !

Blaise et Denis lui répondirent en reprenant des tartines, tandis que Rose achevait la timbale d’eau rougie qu’Ambroise lui avait passée. Mais Marianne surtout était la fête de fécondité épanouie, la source de vigueur et de conquête, avec son sein nu, que Gervais tétait de tout son cœur. Il tirait si fort, qu’on entendait le bruit de ses lèvres, comme le bruit léger d’une source à sa naissance, le mince ruisseau de lait qui devait s’enfler et devenir fleuve. Autour d’elle, la mère écoutait cette source naître de partout et s’épandre. Elle n’était point seule à nourrir, la sève d’avril gonflait les labours, agitait les bois d’un frisson, soulevait les herbes hautes où elle était noyée. Et, sous elle, du sein de la terre en continuel enfantement, elle sentait bien ce flot qui la gagnait, qui l’emplissait, qui lui redonnait du lait, à mesure que le lait ruisselait de sa gorge. Et c’était là le flot de lait coulant par le monde, le flot d’éternelle vie pour l’éternelle moisson des êtres. Et, dans la gaie journée de printemps, la campagne éclatante, chantante, odorante en était baignée, toute triomphale de cette beauté de la mère qui, le sein libre sous le soleil, aux yeux du vaste horizon, allaitait son enfant.