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voilà un immense champ conquis, donné à la culture, où le blé grandirait avec une extraordinaire puissance… Ce n’est pas tout, il reste ce pays devant nous, ces pentes douces, de Janville à Vieux-Bourg, là-bas, encore plus de deux cents hectares, laissés presque incultes, à cause de la sécheresse, de la maigreur pierreuse du sol. C’est donc bien simple, il n’y aura qu’à prendre là-haut les sources captées, les eaux aujourd’hui stagnantes, puis à les verser, à les irriguer à travers ces pentes stériles, qui peu à peu deviendront d’une fertilité formidable… J’ai tout vu, j’ai tout étudié. Je sens là, au bas mot, cinq cents hectares de terre, dont un créateur audacieux peut faire le plus fécond des domaines. C’est tout un royaume du blé, tout un monde nouveau à enfanter par le travail, avec l’aide des eaux bienfaisantes et de notre père le soleil, source d’éternelle existence. »

Marianne le regardait, l’admirait, tandis qu’il frémissait, exalté dans l’évocation de son rêve. Mais elle fut effrayée par la grandeur d’un tel espoir, elle ne put retenir ce cri d’inquiétude et de prudence :

« Non, non, c’est trop, tu veux l’impossible. Comment peux-tu croire que nous aurons jamais tout ca, que notre fortune s’élargira sur le pays entier ! Et des capitaux, et des bras, pour une telle conquête ? » Il resta un instant muet, effaré par la secousse, ramène à la réalité. Puis, de son air raisonnable et tendre, il se mit à rire.

« Tu as raison, je rêve, je dis des folies. Mon ambition ne va pas encore jusqu’à vouloir être le roi de Chantebled. Mais c’est vrai tout de même, ce que je te raconte, et quel mal y a-t-il à rêver de grands projets, pour se donner du courage et de la foi ?… En attendant, je suis résolu à tenter la culture, oh ! modestement, sur quelques hectares que Séguin me cédera sans doute à bon compte, avec le petit pavillon que nous occupons. Je sais que sa