Page:Zola - Fécondité.djvu/251

Cette page n’a pas encore été corrigée

l’état sauvage, d’une grandeur calme, sous l’éclatant soleil de l’admirable journée d’avril. Toute la sève amassée semblait gonfler la terre d’un lac de vie ignoré, souterrain, dont on sentait frémir le flot dans les arbres vigoureux, les plantes débordantes, la poussée violente des ronces et des orties qui envahissaient le sol. Une odeur d’amour inassouvi, une odeur puissante et âpre s’exhalait des choses.

« Ne vous écartez pas trop, cria Marianne aux enfants. Nous allons rester sous ce chêne, nous goûterons tout à l’heure. »

Déjà Blaise et Denis galopaient, suivis d’Ambroise, jouant à qui courait le plus fort ; tandis que Rose, les appelant, se fâchant, voulait qu’on jouât à cueillir des fleurs. Ils étaient ivres de grand air, ils avaient des herbes jusque dans les cheveux, comme des petits faunes lâchés à travers les buissons. Puis, ils revinrent, firent des bouquets. Puis, ils repartirent, galopèrent encore, les grands frères avec la petite sœur sur le dos, d’un train fou.

Mais, pendant la promenade, longue déjà, Mathieu était resté distrait, les yeux errants autour de lui. Parfois, lorsque Marianne lui adressait la parole, il n’entendait pas, tombé en rêverie devant un champ inculte, un coin de bois envahi de broussailles, une source d’eau qui jaillissait, puis se perdait dans la boue. Et, pourtant, elle sentait qu’il n’y avait en son cœur rien d’indifférent ni de triste ; car, dès qu’il revenait à elle, il riait de son bon et tendre rire. C’était elle qui, souvent, l’envoyait pour son bien courir ainsi la campagne, même seul ; et, si elle avait deviné que toute une crise profonde se passait en lui, elle attendait qu’il parlât, confiante.

Cependant, comme il était retombé dans son rêve, les regards au loin, étudiant l’immense déroulement des divers terrains, elle eut un léger cri.