voudrais vous y voir vous, à mieux cultiver la terre, pour lui faire rendre ce qu’elle ne veut plus donner ! »
Il se fâcha tout à fait, devint d’une violence brutale, en reprenant contre la terre marâtre les accusations de sa paresse et de son entêtement. Il avait voyagé, il s’était battu en Afrique, on ne pouvait pas dire qu’il avait vécu dans son trou, ainsi qu’une bête ignorante. Mais, au retour du régiment, ca n’empêchait pas qu’il s’était senti tout de suite dégoûté, quand il avait compris que la culture était fichue et que jamais elle ne lui donnerait autre chose que du pain sec à manger. La terre faisait faillite comme le bon Dieu, les paysans ne croyaient plus en elle, tant elle était vieillie, vidée, épuisée. Et jusqu’au soleil qui se détraquait, de la neige en juillet, des orages en décembre, tout un chambardement des saisons qui ruinait d’avance les récoltes !
« Non, monsieur, ce n’est plus possible, c’est fini. La terre, le travail, ça n’existe plus. Nous sommes volés, le paysan qui se tue de fatigue n’aura bientôt pas même de l’eau à boire. Aussi est-ce pour cela que j’aimerais mieux me ficher à la rivière que de faire encore un enfant à ma femme, parce qu’il est inutile de mettre au monde des malheureux et qu’Antonin aura du moins de quoi vivre après nous, s’il est tout seul… Et vous le voyez, Antonin, eh bien ! je vous jure que je n’en ferai pas un paysan malgré lui. S’il mord à l’étude, s’il veut aller à Paris, ah ! grand Dieu ! je lui dirai qu’il a raison, qu’il n’y a encore que Paris pour les gaillards solides, résolus à tenter la fortune… Il pourra tout vendre, risquer sa moisson, là-bas, sur le pavé. C’est là que poussent les écus, et je n’ai qu’un regret, moi, c’est de n’avoir pas couru la chance, lorsqu’il en était temps encore. »
Mathieu se mit à rire. N’était-ce pas singulier que lui, bourgeois bachelier, homme de science, rêvât de revenir à la terre, à la mère commune de tout travail et de tout