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nous deux… Quand Claire aura trente ans, nous verrons ça ».

Cependant, Mme Angelin était séduite, continuait à regarder l’enfant d’un air de femme tentée, prise du désir d’un jouet nouveau, sans doute aussi remuée au fond de l’être par un brusque éveil de maternité. Ce n’était point un méchant cœur, elle avait au contraire une infinie bonté, sous son insouciance d’amoureuse.

« Oh ! Robert, murmura-t-elle doucement, si pourtant nous en avions un ! »

Il se révolta d’abord, il plaisanta.

« Alors, je ne te suffis plus ? Tu sais que, pendant les neuf mois de la grossesse et pendant les quinze mois de l’allaitement, nous ne pourrons même pas nous embrasser. Ça fait deux ans sans la moindre caresse… N’est-ce pas, mon cher ami, qu’un mari raisonnable, qui a le souci de la bonne santé de la mère et de l’enfant ne touche plus à sa femme de tout ce temps-là ? »

Mathieu s’était mis à rire avec lui.

« C’est un peu exagéré. Mais, tout de même, il y a du vrai. Le mieux est en effet de s’abstenir.

— S’abstenir, tu entends, Claire ? Hein ! le vilain mot ! Est-ce là ce que tu veux ?… Et si je ne peux pas, moi, si je vais ailleurs ? »

Les deux jeunes femmes, rougissantes, riaient elles aussi, se prêtaient aux plaisanteries d’usage, sur cette matière délicate. Ne pouvait-on leur donner cette grande, cette douce marque de tendresse, de leur être fidèle et d’attendre ? Aller ailleurs, mais c’était abominable, cela soulevait le cœur de dégoût !

« Laissez-le donc dire ! conclut Mme Angelin. Il m’aime trop, il ne sait même plus s’il y a d’autres femmes. »

Une crainte jalouse, pourtant, devait commencer à l’ébranler. Et ce qu’elle n’osait discuter à voix haute,