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étaient au contraire les seuls raisonnables, ceux qui, en limitant leur famille, faisaient acte de bons citoyens. Et il triomphait, répétait qu’il n’avait rien à se reprocher, que sa fortune, toujours grossie, lui laissait la conscience tranquille : tant pis pour les pauvres, s’ils voulaient rester pauvres ! Vainement, le docteur lui répondait que l’hypothèse de Malthus était désormais ruinée, que ses calculs portaient sur l’accroissement possible et non sur l’accroissement réel ; vainement, il lui prouvait que la crise économique actuelle, la mauvaise distribution des richesses, sous le régime capitaliste, était l’exécrable et unique cause de la misère, et que, le jour où le travail serait justement réparti, la terre féconde nourrirait à l’aise une humanité décuplée et heureuse : l’autre se refusait à rien entendre, s’installait béatement dans son égoïsme, en déclarant que tout cela ne le regardait pas, qu’il était sans remords d’être riche, et que ceux qui avaient envie d’être riches, n’avaient en somme qu’à faire comme lui.

— Alors, c’est la fin raisonnée de la France, n’est-ce pas ? dit Boutan avec malice. Le chiffre des naissances, en Angleterre, en Allemagne, en Russie, monte toujours, tandis qu’il baisse effroyablement chez nous. Nous ne sommes déjà plus, par le nombre, qu’à un rang très inférieur en Europe ; et le nombre, aujourd’hui, c’est plus que jamais la puissance. On a calculé qu’il faut une moyenne de quatre enfants par famille, pour que la population progresse, détermine et maintienne la force d’une nation. Vous n’avez qu’un enfant, vous êtes un mauvais patriote.

Hors de lui, Beauchène s’emporta, s’étrangla.

— Moi, un mauvais patriote ! moi qui me tue de travail, moi qui vends des machines même à l’étranger !… Certes, oui, j’en vois autour de moi, des familles, des connaissances à nous, qui peuvent se permettre d’avoir