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un enfant encore, eux sans rien, sans fortune, sans un pouce de bien au soleil !

— Puis, continua Constance, avec la pruderie de son éducation rigide, ça finirait par être vraiment malpropre. Moi, quand je vois des gens qui traînent derrière eux une bande d’enfants, ça me répugne, comme si je voyais une famille d’ivrognes. C’est pareil, c’est même plus sale.

Beauchêne éclata d’un nouveau rire, bien que, là-dessus, il dût être d’un avis contraire. D’ailleurs, Mathieu restait très calme. Jamais Marianne et Constance n’avaient pu s’entendre, elles différaient trop en toutes choses ; et il prenait gaiement les attaques, il évitait de se fâcher, pour ne pas en arriver à une rupture.

— Vous avez raison, dit-il simplement, ce serait une folie… Pourtant, si un cinquième doit venir, on ne peut guère le renvoyer d’où il vient.

— Oh ! il y a des moyens ! cria Beauchêne.

— Des moyens, répéta le docteur Boutan, qui écoutait de son air paterne, je n’en connais pas qui ne soient coupables et dangereux.

Beauchêne se passionna, cette question de la natalité et de la dépopulation actuelle était une de celles qu’il croyait posséder à fond et qu’il tranchait volontiers en beau parleur. Il récusa d’abord Boutan, qu’il savait l’apôtre convaincu des familles nombreuses, le plaisantant, lui disant qu’un médecin accoucheur ne pouvait avoir, dans la matière, une opinion désintéressée. Puis, il sortit tout ce qu’il savait vaguement de Malthus, la progression géométrique des naissances et la progression mathématique des subsistances, la terre peuplée et réduite à la famine en moins de deux siècles. C’était la faute des pauvres, s’ils mouraient de faim : ils n’avaient qu’à se restreindre, à ne faire que le nombre d’enfants qu’ils pouvaient nourrir. Les riches, qu’on accusait faussement de malfaisance sociale, loin d’être responsables de la misère,