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Alors doucement, tendrement, il s’agenouilla, prit sa main au bord du lit, appuya la joue contre ce peu qu’il tenait de sa chair nue, comme pour entrer tout entier en elle et se mettre ainsi de sa souffrance. Un brusque souvenir lui revint, il se rappela que c’était là le geste de Morange, posant, d’une même caresse, sa joue brûlante contre la main glacée de Valérie morte. Dans la vie, dans la mort, le même lien se nouait. Mais toute la fièvre du malheureux n’avait pu réchauffer cette main de marbre, tandis que lui, au contraire sentait bien qu’il prenait par ce contact, à sa femme en pénible labeur, une petite part de la souffrance dont elle frémissait. Il souffrait avec elle, il entendait jusqu’aux moindres ondes de douleur dont elle était traversée, il la soulageait dans l’œuvre commune de vie, à l’heure d’angoisse où toute joie humaine se paie. Cette communauté de l’œuvre, ne l’avait-il pas voulue, dès le soir où cédant à l’éternel désir, tous deux s’étaient unis, en une flamme de volupté féconde ? Dès lors, elle était devenue sienne davantage, il s’était senti davantage en elle, s’identifiant plus étroitement l’un à l’autre, à mesure que la grossesse montante, dans le flot vivant qui les confondait, la faisait peu à peu pleine de lui. Les soins dont il l’avait ensuite entourée, sa tendresse à veiller en serviteur toujours présent, son culte à lui éviter les moindres peines, à lui donner la joie du jour qui se lève, l’espérance du jour qui suivra, n’étaient à ses yeux que sa part trop petite de nécessaire besogne, pour mener à bien leur commun enfantement. Quand on est un père honnête homme, quand on désire que l’enfant soit solide et beau, il faut aimer la mère enceinte comme on a aimé l’épouse amoureuse, le soir de la conception, d’une ardeur sacrée, d’une passion infinie, jusqu’à s’absorber, à disparaître en elle. Et son unique regret, maintenant qu’il la voyait souffrir à ce point, était de ne pouvoir être là, près d’elle, qu’un soulagement et