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des petits cadavres. Dans ces bas-fonds de la déchéance humaine, il sentait maintenant l’obscure infamie, le vent de tant de drames, de tant d’assassinats cachés, lui passer sur la face. Et l’épouvante, c’était que cette femme, cette basse et lâche assassine parlait haut, semblait convaincue de sa mission, lui disait des vérités qui le bouleversaient. La maternité ne tombait à cette folie meurtrière que par l’abomination sociale, la perversion de l’amour, l’iniquité des lois. On salissait le divin désir, la flamme immortelle de la vie, et il n’était plus que le rut qui engrosse au hasard les femelles qui passent. Le tressaillement des mères, au premier coup de l’enfant, devenait un frisson de terreur, la crainte de mettre au jour le fruit redouté d’un malentendu, le besoin de le détruire dans son germe, comme une herbe mauvaise dont on ne veut pas. Un cri d’égoïsme montait, plus d’enfant, rien qui vienne détruire les calculs d’argent ou d’ambition ! Mort à la vie de demain, pourvu que la jouissance d’aujourd’hui soit ! Toute la société agonisante le poussait, ce cri sacrilège, qui annonçait la fin prochaine de la nation. Et Mathieu, qui avait senti Paris si mal ensemencé, neuf mois plus tôt, le soir où il s’était vu lui-même sur le point de céder à la folie libertine de la fraude, constatait maintenant de quelles mains méchantes et coupables on le moissonnait. Certes, beaucoup de grains s’y trouvaient perdus, jetés au pavé banal, desséchés, brûlés ; et que de déchet, pendant la culture, que d’épis on y faisait couler, par la brutalité, par la misère ! Mais ce n’était rien encore, des mains féroces continuaient l’œuvre de gaspillage, lorsque la récolte arrivait. Paris mal ensemencé, mal moissonné, telle était l’œuvre diabolique d’avortement volontaire, toutes les puissances de mort luttant contre la vie, en face de l’impassible nature qui crée la prodigalité infinie des germes, pour l’infinie moisson de vérité et de justice.