faire des enfants ? »
Ce qu’elle ne disait pas, c’était qu’elle venait d’accoucher de son second, c’était aussi que la chose, cette fois, n’avait pas bien marché, comme pour le premier. L'année précédente, presque jour pour jour, la Rouche l’avait délivrée d’un mort-né, un des plus beaux mort-nés qu’elle eût réussis, avec ce tour de main heureux dont elle détenait la spécialité. Cette fois, bien qu’à sept mois à peine, l’enfant était né vivant, déjà solide. Pourtant, toutes les chances de mort semblaient assurées ; mais la vie a de ces obstinations. Et, la règle de la maison interdisant l’infanticide, il avait fallu faire appel à la Couteau, qui était la suprême ressource, la fosse commune, dans ces cas fâcheux. Elle établit venue chercher l’enfant pour l’emmener en nourrice, à Rougemont, dès le lendemain de sa naissance. Il devait être mort.
— « Vous comprenez, monsieur, que je ne puis pas me dorloter comme une dame. Les médecins disent qu’il faut rester au moins vingt jours couchée, à se remettre. Moi, j’ai gardé le lit six jours, et je me suis levée aujourd’hui, de façon à reprendre des forces, pour rentrer dans ma place lundi. En attendant, vous voyez, je m’occupe, je raccommode un peu le linge de Mme Rouche, qui est si bonne pour moi… C’est entendu, n’est-ce pas ? monsieur voudra bien me garder le secret. »
Mathieu consentit d’un signe de tête. Il regardait cette fille de vingt-cinq ans à peine, sans beauté, avec sa longue tête chevaline, mais de chair fraîche, de dents éclatantes, et il la voyait aller ainsi de grossesse en grossesse, rejetant des mort-nés à la terre, des semences mal écloses que l’humidité pourrissait. Elle lui faisait horreur et pitié.