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bord du lit. Elle était morte, et elle était seule, sans une âme près d’elle, sans un cierge.

Béant, Morange regarda. Elle semblait dormir, les yeux pour toujours fermés. Mais il ne s’y trompa pas, il ne voyait plus le petit souffle, les lèvres étaient closes et toutes blanches. L’infamie de cette chambre, l’horreur froide de cette morte abandonnée ainsi seule, telle qu’une assassinée, abattue au coin d’une borne, le frappait au cœur d’un tel coup, qu’il en restait stupide. Il lui prit la main, la sentit de glace, n’eut qu’un soupir rauque, qui lui montait des entrailles. Et il tomba sur les genoux, il appuya simplement la joue sur cette main de marbre, sans une parole, sans même un sanglot, comme s’il eût voulu se glacer à ce néant, entrer avec elle dans le froid de la mort. Et il ne bougea plus.

Mathieu était, lui aussi, demeuré immobile, terrifié de cette fin si rude, de cet écrasement, dans l’abjection où le misérable ménage était venu échouer. L’effrayant silence continuait, il finit par y entendre un léger bruit, comme l’approche d’une chatte prudente. Par la porte restée grande ouverte, c’était Mme Rouche qui entrait, qui s’avançait de son air doux et tranquille, menue et discrète, dans son éternelle robe noire. Son grand nez fureteur se tourna tout de suite vers ce monsieur, dont elle se rappela la visite, le jour où il semblait avoir une dame à placer. Sans doute il ne l’inquiéta point, elle le jugea, garda le beau calme, où il était stupéfait de la voir. Elle semblait simplement pénétrée de commisération pour le pauvre mari, écroulé près de la morte. Son regard aimable disait : « Quel accident, quelle tristesse, comme nous sommes peu de chose devant les hasards fâcheux de la vie ! » Puis, lorsque Mathieu voulut intervenir, relever et réconforter le malheureux, elle l’en empêcha, elle chuchota :

— « Non, non, laissez-le, ça lui fait du bien… Venez, monsieur, je désire vous parler. »

Et elle l’emmena.