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certain que vous allez venir avec moi, parce que je suis trop malheureux, trop malheureux. Je vous assure que je ne retournerai pas seul où je vais vous mener, je ne puis plus, je n’en ai plus la force, il me faut quelqu’un, quelqu’un qui soit avec moi, oh ! je vous en supplie, je vous en supplie ! »

Il y avait une telle épouvante, une telle détresse dans ces paroles tremblées, balbutiées, que Mathieu en fut remué jusqu’aux entrailles. Il sentait le pauvre homme, faible et tendre, à bout de courage, seul désormais, sans volonté, pareil à un enfant tombé à l’eau et qui se noie.

— « Attendez, dit-il, je vais voir si je puis vous accompagner. »

Vivement, il remonta conter à Marianne qu’il devait y avoir quelque terrible malheur chez les Morange, et que le comptable était en bas, le suppliant de venir un instant lui prêter aide et secours. Tout de suite, elle décida qu’il ne pouvait refuser, d’autant plus qu’elle ne souffrait pas pour le moment. Elle s’était peut-être trompée. Et elle eut une idée : puisque Morange avait une voiture, Mathieu pouvait d’abord passer chez les Séguin, prévenir le docteur Boutan et le lui envoyer, s’il était libre ; ensuite, il irait plus tranquillement rendre à son ami le service que celui-ci lui demandait.

— « Tu as raison tu es une brave femme, dit Mathieu, qui la baisa de nouveau à pleine bouche. Je t’envoie Boutan et je reviens le plus tôt possible. »

En bas, il entra dans le salon, embrassa les enfants à leur tour, et embrassa Reine aussi, qui semblait sans un soupçon, toute gaie à l’idée de ce déjeuner chez les Beauchêne, dont elle allait être. Il appela la bonne, voulut qu’elle emmenât immédiatement, sous ses yeux, ce petit monde. Après qu’il les eut, lui-même, fait sortir par le jardin, il les accompagna du regard, tant qu’ils n’eurent pas franchi le seuil de l’hôtel voisin.