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un nouvel arrêt, quelques mots furent de nouveau bégayés dans le désespoir. Et il eut l’atroce serrement de cœur de les voir revenir sur leurs pas, descendre la rue La Boétie, puis suivre la rue de la Pépinière, jusqu’à la rue du Rocher.

Mathieu les avait suivis, aussi tremblant et honteux qu’eux-mêmes. Il savait où ils allaient, mais il voulait en avoir l’affreuse certitude. Trente pas avant l’ignoble maison noire du vieux Paris, à l’endroit où dévalait la pente de la rue du Rocher, il s’arrêta, se dissimula sous une porte, certain du regard de soupçon que le couple misérable jetterait aux alentours. Et ce fut ainsi : les Morange arrivés devant l’allée noire et puante, passèrent d’abord en regardant d’un coup d’œil oblique le louche écriteau jaune, puis ils revinrent, s’assurèrent que personne ne les voyait. Ils n’avaient plus d’hésitation, ils s’engouffrèrent, la femme d’abord, le mari ensuite, car elle devait vouloir qu’il en fût. Rien ne resta d’eux que leur frisson épouvanté du crime. La vieille maison lézardée, qui sentait l’égout et le meurtre, sembla les avoir engloutis.

Mais, dans un même frisson, Mathieu, s’oubliant là, les accompagnait, évoquait ce qu’il savait. Il les voyait suivant l’allée à tâtons, traversant la cour humide, introduits par la bonne en tablier sale, accueillis dans le petit salon d’hôtel garni louche par la Rouche, au grand nez de ruse assassine, au continuel sourire de miel gâté. Et l’affaire se débattait, on tombait d’accord. Ce n’était plus seulement ici la maternité clandestine, les grossesses maudites, les couches coupables et déshonorantes, qui lui avaient meurtri le cœur chez Mme Bourdieu ; c’était l’assassinat bas et lâche, l’immonde avortement qui supprime la vie à sa source. L’infanticide était moins meurtrier, le déchet dans les naissances s’aggravait encore avec cet étranglement de l’embryon ou du fœtus, pratiqué sournoisement, en de telles conditions de