Page:Zola - Fécondité.djvu/194

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

anéantie, dans une épouvante croissante. Le moindre mot de la sage-femme lui donnait des tremblements, et elle l’interrogeait à chaque minute, de son pauvre visage anxieux, bouleversé d’effroi. Jamais une misérable créature n’avait payé d’un tel tourment la joie d’avoir été aimée une heure. Le 25 au matin, comme elle tombait au dernier désespoir, elle fut prise des douleurs, elle en baisa de joie les mains de Mme Bourdieu, malgré l’horrible souffrance. Par une malchance dernière, les douleurs durèrent toute la journée et presque toute la nuit : elle aurait été perdue quand même, si son mari n’avait dû coucher à Marseille. Il n’arriverait que dans la nuit suivante ; et, délivrée vers cinq heures du matin, elle eut ainsi jusqu’au soir pour rentrer chez elle, feindre une maladie, quelque perte brusque, qui l’avait forcée à prendre le lit. Mais quelles relevailles affreuses, quel effroyable courage, cette femme en sang, dévastée, à demi mourante, retournant à son foyer !

— « Ouvrez donc la porte, demanda Norine, je veux la voir passer. »

Victoire ouvrit la porte toute grande, sur le corridor. Depuis un instant, on entendait des bruits dans la chambre voisine. Et, bientôt, Mme Charlotte parut, chancelante, l’air ivre, soutenue par deux femmes, qui la portaient presque. Ses beaux yeux tendres, sa bouche de charme et de bonté n’étaient plus qu’un deuil ; et jusqu’à sa distinction de femme délicate sombrait dans l’anéantissement de son malheur. Cependant, quand elle vit la porte ouverte, elle voulut s’arrêter, elle appela Rosine, d’une voix défaillante, avec un faible sourire.

— « Venez, mon enfant, je serai contente de vous embrasser… Ah ! je ne suis pas bien forte, mais peut-être que j’irai jusqu’au bout… Adieu mon enfant et vous aussi, mes petites. Soyez plus heureuses. »

On l’emporta, elle disparut.