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existence. Mais, cependant, on racontait qu’elle était déjà venue dans la maison, trois ans plus tôt, se débarrasser d’un premier enfant. Et, la seconde fois comme la première, elle était débarquée un beau matin, sans prévenir, huit jours avant ses couches, puis après être restée au lit trois semaines et avoir fait disparaître l’enfant, qu’elle envoyait aux Enfants-Assistés, elle retournait dans son pays, elle reprenait tranquillement le bateau qui l’avait amenée. Même elle réalisait une petite économie, en voyageant, à chaque grossesse, avec un billet d’aller et retour.

— « C’est bien commode, dit Norine. Il paraît qu’il y en a des tas qui nous arrivent ainsi de l’étranger. Quand l’œuf est pondu à Paris, bien malin qui en trouverait les coquilles… Je crois que celle-ci est une religieuse, oh ! pas une religieuse pareille à celles que nous avons en France, mais une de ces femmes qui vivent toutes ensemble dans des maisons, comme qui dirait des béguines. Elle a toujours le nez fourré dans des livres de messe.

— En tout cas, reprit Victoire d’un air convaincu, elle est bien comme il faut, pas belle à coup sûr, mais très polie et guère bavarde. »

Elles se turent, Amy rentrait. Mathieu, la curiosité éveillée, la regarda. Quelle extraordinaire chose, cette grande fille si peu faite pour l’amour, cette planche si jaune, si sèche, si rude, venant, entre deux bateaux, se faire périodiquement délivrer en France ! Et de quelles œuvres, et avec quelle paisible dureté de cœur, sans une émotion au départ, sans une pensée pour l’enfant laissé à la borne ! Elle ne donna même pas un regard à cette pièce où elle avait souffert, et elle allait prendre simplement son léger bagage, lorsque les deux autres, beaucoup plus émues qu’elle, voulurent l’embrasser.

— « Portez-vous bien, dit Norine, bon voyage. »

L’Anglaise tendit la joue, baisa ensuite les cheveux de