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Elle s’était mise à rire, très gaie, insouciante de l’avenir, ne songeant guère au pauvre petit être qui poussait. Vainement, il essaya d’éveiller la maternité en elle, il lui demanda ce qu’elle ferait ensuite, quels étaient ses projets. Elle ne comprit même pas, crut qu’il lui parlait du père, eut un haussement d’épaules, pour dire qu’elle s’en moquait bien, qu’elle n’avait jamais été assez sotte pour compter sur lui. Sa mère était venue la voir, le lendemain de son entrée. Mais cette bonne visite ne lui laissait aucune illusion, elle ne comptait pas non plus sur sa famille, où il n’y avait pas de pain pour tous. Alors, quoi ? elle verrait bien. Une jolie fille, à son âge, n’était jamais embarrassée. Et elle s’étirait dans son lit blanc, heureuse de se sentir fraîche et désirable, conquise déjà par cette tiède paresse, envahie du besoin de n’avoir plus que de grasses matinées pareilles, maintenant qu’elle les connaissait, d’une douceur si caressante.

Ensuite, elle revint avec orgueil sur la bonne tenue, sur l’honorabilité de la maison, comme si elle en tirait personnellement tout un lustre. Elle montait d’une classe.

— « On n’entend pas une dispute, pas un gros mot. Tout le monde est très honnête. C’est à coup sûr la maison la plus propre du quartier, et il n’y a pas à dire, vous pouvez regarder dans les coins, vous ne trouverez rien de sale. Sans doute, on n’y reçoit pas que des princesses, mais du moment qu’on sait se tenir, n’est-ce pas ? peu importe d’où l’on sort. » Et elle voulut donner un exemple.

— « Ainsi, tenez ! le troisième lit, là-bas, après le lit de l’Anglaise… Eh bien ! il est occupé par une petite bonne de dix-huit ans. Oh ! elle a donné son vrai nom, elle s’appelle Victoire Coquelet, et elle ne cache même pas son histoire. En arrivant de son village, la voilà qui tombe à Paris chez un homme d’affaires louches, dont le fils, un grand flandrin de vingt ans, lui fait un enfant, dans sa