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m’interdirait même de révéler ce que le hasard m’apprendrait. Elles sont libres, elles n’ont rien à craindre, et, si nous traitons pour la dame au nom de laquelle vous vous présentez, vous n’aurez qu’à me l’amener le jour convenu, elle trouvera chez moi l’asile le plus discret et le plus sain. »

D’un coup d’œil, avec sa grande habitude, elle avait dû juger le cas : quelque fille mère, dont un monsieur voulait se débarrasser proprement. C’étaient là les bonnes affaires. Et, quand elle sut qu’il s’agissait d’une pension de quatre mois, elle devint coulante, finit par accepter un prix fait de six cents francs, à la condition que la dame coucherait dans une chambre de trois lits, avec deux compagnes. Tout fut réglé, la pensionnaire lui fut amenée, le soir même.

« Vous vous appelez Norine, mon enfant. C’est très bien, cela suffit. Je vais vous installer, quand on aura monté votre petite malle… Vous êtes jolie comme un amour, et j’ai déjà la certitude que nous serons deux bonnes amies. »

Ce fut seulement cinq jours plus tard que Mathieu retourna voir Norine, pour savoir comment elle se trouvait chez Mme Bourdieu. Quand il songeait à sa femme, à sa chère Marianne, dont il entourait l’heureuse grossesse d’une dévotion si tendre, d’un culte de vénération et de tendresse, il avait au cœur une souffrance, une infinie pitié, pour les grossesses honteuses, cachées, insultées, pour toutes les douloureuses femmes qui agonisent d’être mères. Cette idée du dégoût et de l’horreur où la maternité peut jeter la femme, jusqu’à la boue, jusqu’au crime, le torturait comme une profanation ; et jamais il ne s’était senti, dans sa passion de solidarité humaine, d’une bonté plus frémissante. Puis, il avait dû discuter encore avec Beauchêne, qui s’était récrié, en apprenant qu’un billet de cinq cents francs ne suffirait pas. Il avait fini par tirer