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malheureux !… Non, non ! c’est moi qui suis sage, moi qui n’en ai qu’un et qui sais me borner, en homme raisonnable et prudent !

C’étaient là les habituelles plaisanteries, où perçait une indignation vraie, dont il accablait le jeune ménage insoucieux de sa fortune, cette fécondité de sa cousine Marianne qu’il déclarait scandaleuse.

Mathieu continuait de rire, sans même répondre, habitué à ces attaques qui lui laissaient toute sa sérénité, lorsqu’un ouvrier entra, le père Moineaud, comme on le nommait à l’usine, bien qu’il eût à peine quarante-trois ans, court et trapu, avec une tête ronde, un cou de taureau, la face et les mains crevassées par plus d’un quart de siècle de travail. Il était mécanicien-ajusteur, il venait pour soumettre au patron une difficulté, dans le montage d’une machine. Mais celui-ci ne lui laissa pas le temps de s’expliquer, tout à son emportement contre les familles trop nombreuses.

— Et vous, père Moineaud, combien avez-vous d’enfants ?

— Sept, monsieur Beauchêne, répondit l’ouvrier un peu interloqué. J’en ai perdu trois.

— Alors, ça vous en ferait dix. Eh bien ! c’est du propre, comment voulez-vous ne pas crever de faim ?

Moineaud, lui aussi, s’était mis à rire, en ouvrier parisien imprévoyant et gai, qui n’avait pour toute joie que la rigolade avec sa femme, quand il avait bu un coup. Les petits, ça poussait sans qu’il s’en aperçût seulement, et même il les aimait bien, tant qu’ils ne s’étaient pas envolés du nid. Et puis, ça travaillait, ça rapportait un peu. Mais il préféra s’excuser, d’un mot plaisant, qui lui semblait très vrai au fond.

— Dame ! monsieur Beauchêne, c’est pas moi qui les fais, c’est ma femme.

Tous les trois s’égayèrent, et l’ouvrier ayant enfin