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minces robes de pauvre. Elles s’en allèrent, la face rougie, les mains mordues par l’onglée, comme emportées dans le grand frisson impitoyable de l’hiver. Et il les regarda qui disparaissaient les trois filles dolentes, serrées autour de la mère en larmes.

Quand Mathieu revint à l’usine, il regrettait de s’être engagé dans la crainte de n’avoir donné que des illusions à ces tristes femmes. Comment allait-il s’y prendre ? Qu’allait-il dire ? Et le hasard voulut que, comme il rentrait dans son bureau, il y trouvât Beauchêne qui, désireux d’avoir un renseignement sur un projet de machine, l’y attendait.

— Où étiez-vous donc, mon cher ? Voici un quart d’heure que je vous fais chercher partout.

Mathieu cherchait un prétexte pour s’excuser, lorsqu’il eut la pensée de saisir l’occasion et de brusquer les choses, en disant la vérité. Et il fit cela bravement, il conta comment les fillettes l’étaient venues chercher, puis quelle conversation il avait eue avec Norine et sa mère, à l’instant même.

— Enfin, mon chère Alexandre, ne m’en veuillez pas, d’intervenir ainsi dans cette affaire. Les circonstances me paraissent assez graves, pour que je passe par-dessus l’ennui de vous contrarier. Encore ne vous aurais-je rien dit, si vous ne m’aviez fait certaines confidences.

Beauchêne avait écouté, saisi d’abord, envahi par une colère sourde, qui gonflait son visage d’un flot de sang. Il étouffait, il serrait les poings, comme s’il allait tout casser. Puis, il affecta d’être pris d’une hilarité irrésistible, d’une gaieté méprisante, dont l’éclat sonnait faux.

— Mais, mon bon ami, c’est simplement du chantage… De quoi vous mêlez-vous, là ! Je ne vous croyait vraiment pas si naïf, et l’on vous fait jouer un joli rôle… Alors la mère et les petites sœurs elles-mêmes se mettent de la partie ? C’est complet, ça devient comique… Et, n’est-ce