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— Ma pauvre femme, vous vous trompez sur mon pouvoir. Je crains tellement d’échouer…

Mais Norine ne lui laissa pas finir la phrase. Elle vit qu’elle devait s’en mêler. Elle ne pleurait plus, elle s’anima peu à peu.

— Écoutez, maman ne vous dit pas ce qu’elle avait à vous dire… Enfin, ce n’est pas moi qui l’ai poursuivi, le monsieur que vous savez. C’est lui qui a couru après moi, qui n’a pas eu de cesse, tant que je n’ai pas consenti à ce qu’il voulait. Et, maintenant, il me plante là, comme s’il ne me connaissait seulement pas ! Pourtant, si j’étais méchante, je pourrais lui causer de gros embêtements… Je suis une honnête fille, je jure bien qu’avant de faire la bêtise d’aller avec lui…

Elle fut sur le point de mentir, en disant que Beauchêne l’avait eue vierge. Mais elle dut voir, dans les yeux de Mathieu, qu’il était renseigné ; et elle jugea prudent de ne pas insister devant sa mère, à qui elle n’avait pas senti le besoin d’avouer la première faute. Il n’y avait là que l’habituelle histoire des jolies ouvrières comme elle, ayant l’éducation de l’atelier et de la rue, corrompues à douze ans, sachant tout, mais se gardant par calcul, par la juste connaissance de ce qu’elles valent. Elle, très rusée sous son apparente étourderie avait attendu longtemps une occasion pas trop bête. Puis, ainsi que tant d’autres, un beau jour d’oubli, elle s’était donnée pour rien à un camarade, qui avait filé le soir même. C’était cette sottise à réparer qui l’avait plus tard jetée aux bras du patron millionnaire, en fille intelligente du pavé parisien, désireuse à son tour de monter d’un échelon, de mordre aux jouissances supérieures, au luxe qu’elle dévorait des yeux, dans les magasins des grands quartiers. Seulement, elle avait trouvé en Beauchêne un jouisseur, d’un égoïsme si total, d’une si magistrale inconscience devant ce qui n’était pas son intérêt ou son plaisir,