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parce que vous l’aviez vue, un soir, avec le père de son enfant, et que vous vous trouviez par conséquent à même de témoigner qu’elle ne ment pas… Vous comprenez pourquoi Moineaud ne doit pas être mis là-dedans. Nous ne lui dirons jamais le nom ; et, le jour où un hasard le lui apprendrait, je serais la première à le supplier d’agir comme s’il ne le savait pas : voilà des années, et des années, qu’il est à l’usine, ce serait la fin de tout s’il était forcé de la quitter… Vous voyez donc bien que nous ne voulons pas faire de bruit. Ni ma fille ni moi, n’irons raconter l’histoire, car nous n’aurions certainement rien à y gagner. Mais, tout de même, Norine ne peut pas rester dans la rue, le père de son enfant n’aura pas le mauvais cœur de l’y laisser ainsi. Et c’est vous, monsieur, que nous supplions de lui parler, d’obtenir de lui le secours qu’il ne refuserait pas à un chien perdu, s’il en rencontrait un sur le pavé, par un temps pareil.

Elle tremblait, d’une humilité de pauvre femme, si terrorisée par sa vie de misère, qu’elle restait éperdue de son audace, en osant accuser ainsi un puissant personnage, dont dépendait le sort de tous les siens. Brusquement, ayant aperçu les deux petites, Irma et Cécile, qui l’écoutaient, d’un air d’avide intérêt, elle se soulagea sur elles.

— Qu’est-ce que vous fichez là ? Je vous avais dit d’aller voir dans les deux rues… Houp ! déguerpissez ! les enfants ne doivent jamais écouter les grandes personnes.

Tranquillement, les fillettes s’entêtèrent. Elles s’amusaient trop, elles ne firent même pas mine de se reculer ; et, de nouveau, la mère les oublia.

Très touché, Mathieu hésitait pourtant. Il prévoyait trop bien ce que Beauchêne allait lui répondre. Aussi chercha-t-il des excuses, pour expliquer son refus d’intervenir.