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réguliers des jets de vapeur, comme des râles sans fin d’effort et de souffrance. Et c’était dans cette solitude désolée, à l’angle de deux rues, comme pour surveiller les approches, que la mère et la fille attendaient, debout sur le trottoir, dans le vent glacé qui les fouettait, grelottantes toutes les deux, la vieille en bonnet noir, la jeune la tête enveloppée d’un fichu de laine rouge.

Quand elle aperçut Mathieu, Norine se remit à pleurer. Son frais et joli visage de lait, si gai, si effronté d’habitude, était massacré par les larmes. Elle devait exagérer un peu son désespoir pour se rendre intéressante.

« Ah ! monsieur, gémit dolemment la mère, que vous êtes bon d’être venu ! Nous n’avons plus d’espérance qu’en vous.

Avant de s’expliquer, elle se tourna vers les petites, Irma et Cécile, qui s’étaient plantées déjà près de leur grande sœur, désireuses d’entendre ce qu’on allait dire, la curiosité très échauffée par toute cette aventure.

« Vous deux, courez vous mettre en avant, l’une dans cette rue, l’autre dans celle-ci, et vous guetterez, et vous m’avertirez, si vous voyez venir quelqu’un. »

Mais les fillettes ne bougèrent pas, sans que la mère, d’ailleurs, s’occupât d’elles davantage. Elles restèrent, les yeux luisants, écoutant de toutes leurs oreilles.

« Vous savez, monsieur, reprit la Moineaude, le malheur qui nous arrive. Comme si nous n’avions pas déjà assez de tourments !… Qu’est-ce que nous allons devenir, mon Dieu ?

À son tour, elle se mit à pleurer, les larmes lui coupèrent la voix. Et Mathieu, qui ne l’avait pas vue depuis plus d’un an, la trouvait vieillie, une très vieille femme à quarante-trois ans à peine, détruite par ses grossesses successives, pendant lesquelles elle se tuait de travail, et dont elle se relevait sans prudence, sans soins d’aucune sorte, avec des cheveux et des dents en moins. Si, en